Certains couples ont vécu le confinement comme une nouvelle lune de miel. Pour d'autres, il a été le catalyseur d'une crise souvent latente. Mais la séparation n'est pas la seule issue. Il y a aussi des solutions. Et des résolutions à prendre. Par Nathalie Bamps.
Une fois n’est pas coutume, on va vous emmener pour une petite plongée dans l’intime du confinement. Un brin provocateur, on vous dirait: sous la couette. Ce serait un peu réducteur, et trop léger pour un sujet plus sérieux qu'on ne le pense: la vie de couple. Comment se passe le confinement dans les ménages? A-t-il contribué à fusionner les coeurs, ou à les séparer ? Comment prendre des "résolutions" pour redémarrer 2021 sur un bon pied, alors que l’avenir est encore rempli d’incertitudes?
Catherine et François* se connaissent depuis longtemps. Leur amitié s’est muée en attachement. Ils y voyaient de l'amour. Catherine et François auraient dû vivre leur histoire à petits pas, mais le Covid y a mis un frein. Se confiner ensemble? C’était bien trop tôt pour François. Claquemurés dans leur maison, vaquant chacun à leur occupations, ils se sont éloignés.
Maintenir la bonne distance
Cette histoire, c’est l’un des grands classiques des drames amoureux du confinement. "Dans la survie du couple, il y a une dimension architecturale importante. La distance ne doit pas être trop grande, pour ne pas s’éloigner, mais pas trop petite non plus, pour ne pas s’étouffer", nous explique le psychologue Jean Van Hemelrijck. Comment gérer cette distance, quand on vit séparément et que des obstacles, comme le couvre-feu ou la limitation des déplacements, se mettent sur la route des cœurs? Cette période a, dans certains cas, été particulièrement difficile, constate le psychologue. "Pour certains, être obligé de dormir chez l’autre pour éviter le gong du couvre-feu a pu être vécu comme une véritable agression dans leur manière d’être et dans leurs habitudes", nous explique-t-il. Pour ces couples-là, la seule solution a été l’éloignement.
Pour les partenaires vivant sous le même toit, ce petit jeu d’équilibre a aussi été difficile à mener, alors que les sorties sont quasiment interdites, la vie sociale à l’arrêt, les activités mises en pause. Plus de sport et de troisième mi-temps avec les amis, plus de cinéma entre copines, plus de théâtre, plus de restos. Plus de ces petits riens qui permettent de se ressourcer, à deux, ou chacun de son côté. Une situation qui, aux dires des experts, a été encore plus compliquée à vivre chez les jeunes, pour qui les activités culturelles et festives constituent un ciment de la relation amoureuse.
Hausse du nombre de dossiers de demande de divorce en été, entre les 2 confinements. Sur le reste de l'année, les chiffres sont relativement stables.
Coup de projecteur sur les tensions
Chez les couples mariés, ou bien installés dans leur relation, le confinement a aussi servi de révélateur aux problèmes masqués, jusque-là, par ces activités extérieures. "Les sorties cachaient ce qui était dévitalisé dans la relation. Au moment du confinement, cet environnement a disparu. Le couple a été mis face à ses réalités", dit Caroline Kruse, conseillère conjugale. Les conjoints en crise ont vu leurs différends exacerbés. Dans certains ménages, la violence s’est invitée, ou s‘est accentuée. Les pertes d’emploi, les problèmes d’alcoolisme, la dépendance ont aussi donné un coup d’accélérateur dans une situation qui allait déjà droit dans le mur. Et beaucoup se le sont pris de face.
"Entre les deux confinements, on a vu une hausse des consultations pour demande de divorce", dit Carine Vander Stock, avocate spécialisée dans le droit familial. "Pour certains, la crise s’est avérée extrêmement difficile, avec de la violence morale et affective, un renforcement des inégalités au sein du couple. Encore maintenant, lors de ce 2e confinement, beaucoup viennent prendre des informations, savoir ce que leur séparation impliquerait, leurs droits, les conséquences."
"Beaucoup viennent prendre des informations, savoir ce que leur séparation impliquerait, leurs droits, les conséquences. "
CARINE VANDER STOCK
AVOCATE SPÉCIALISÉE DANS LE DROIT DE LA FAMILLE
Au greffe des familles, on ne constate pas (encore) de hausse des dépôts de demandes de divorces. Pareil chez les notaires, les données restent stables sur l’ensemble de l’année, même si les mois d’été (entre les deux confinements), ont vu une hausse de parfois 25% des dossiers de divorces. "Un phénomène que l’on peut attribuer au rattrapage de l’activité mise à l’arrêt, mais pas seulement", estime Sylvain Bavier, le porte-parole de la Fédération des notaires. À ses yeux, "il est indéniable que le confinement n’a pas eu que des impacts positifs sur les couples".
Sur le terrain, le ressenti est en effet bien différent de l’image donnée par les statistiques. "Le bureau du greffe des familles se sent débordé", dit Corinne Delfouffre, vice-présidente du bureau d’aide juridique de Bruxelles. L’avocate gère les dossiers des personnes plus précarisées, bénéficiant d’une aide. Et elle voit une explosion des demandes. "Il y a peut-être un effet dû à l’élargissement, depuis le 1er septembre, de l’aide juridique, mais ce n'est pas la seule raison. Les dossiers sont mis en urgence au greffe, ils passent devant d’autres demandes, parce que les problèmes de violences conjugales se sont accentués avec le confinement."
Une séparation pas si évidente
Se séparer en pleine crise sanitaire et économique ne va pourtant pas de soi. "Certaines personnes bénéficiant de l’aide juridique partent en maison d’accueil, parce que la situation est tellement difficile qu’ils n’ont pas d’autre choix, et ne savent pas où se loger, dit Corinne Delgouffre. Force est de constater, dit l’avocate, que les différences sociales se marquent aussi ici." Mais pas nécessairement dans le sens que l’on croit. "Certains couples à revenu moyen voudraient passer le cap du divorce, mais ne le font pas, car ils se rendent compte qu’un avocat coûte cher, et leurs revenus sont juste un peu trop élevés pour bénéficier d’une aide."
"Les répercussions économiques au sein du couple de la crise sanitaire sont aussi parfois la cause de difficultés supplémentaires. Et elles se muent en obstacles, certains veulent se séparer, mais n’ont pas les moyens de le faire."
CARINE VANDER STOCK
AVOCATE SPÉCIALISÉE DANS LE DROIT DE LA FAMILLE
Cette difficulté à partir pour des raisons économiques, l'impossibilité d'assumer un autre logement, ont donc poussé certains couples à "tenir bon" dans l’adversité. Et reporter leur projet de divorce à plus tard, une fois la crise passée. Pour ces couples-là, c’est la situation du statu quo, qui ne rime pas toujours avec réconciliation, au contraire. "Les répercussions économiques au sein du couple de la crise sanitaire sont aussi parfois la cause de difficultés supplémentaires. Et elles se muent en obstacles, certains veulent se séparer, mais n’ont pas les moyens de le faire", témoigne Carine Vander Stock.
Un confinement qui rapproche, aussi
Tous les couples n’ont pas pour autant vécu l’enfer pendant le confinement. D’après un sondage réalisé en France par l’Ifop, si 10% des Français en couple confient s’être éloignés, 30% estiment que la période les a rapprochés.
Pour certains, l’expérience s’est presque transformée en seconde lune de miel. Marianne et Olivier sont de ceux-là. Patron d’une PME dans le domaine de la construction, Olivier n’était pas souvent à la maison. Le couple avait une vie trépidante, faite d’obligations sociales, de soirées au restaurant, de networking, et d’activités diverses. En devant aussi gérer leurs quatre filles, quasiment toutes adolescentes, dont l’agenda était aussi bien rempli que celui de leurs parents. "Nous avons plusieurs amis dont le couple a explosé, mais nous, ce confinement nous a plutôt rapprochés", raconte Marianne.
Libérés de leurs contraintes, ils se sont retrouvés avec du temps à tuer. Beaucoup de temps. Un luxe qu’ils n’avaient jamais connu, et dans lequel ils se sont investis. "Les week-ends étaient vides, c'était le calme plat. On s’est dit: qu’est-ce qu’on pourrait faire ensemble?" Le couple s’est aéré, faisant de nombreuses randonnées à pied, à vélo, avec ou sans les enfants. "Cela a libéré Olivier de son travail, qui ne s’est pas arrêté parce qu’il était à la maison. Il pouvait se changer les idées, il dormait davantage, il était moins fatigué, et donc plus serein, plus détendu. Cela nous a permis de nous recentrer sur nous, de prendre plus de temps pour notre couple. Même pour l’intimité, ça a été très bénéfice. On a fait plus de siestes…", dit la presque cinquantenaire en riant.
D'après un sondage réalisé par l'Ifop en France, 10% des couples se sont éloignés pendant le confinement, mais 30% se sont rapprochés...
Une libido en berne
La libido en temps de confinement… A en croire un sondage réalisé par le site Gleeden (leader de la rencontre extraconjugale en Europe), le télétravail serait une véritable menace pour l’intimité du couple: source de stress, de mauvaise gestion du temps,de relâchement et de baisse de l’estime de soi liés aux dérives du télétravail en bas de pyjama... Huit Françaises sur dix disent avoir connu une baisse de libido, seule une Française sur trois aurait fait des galipettes sous la couette durant le confinement…
Cela n’étonne pas les spécialistes du couple. "Oui, le télétravail peut avoir eu un impact négatif", dit le psychologue Jean Van Heemerijck. "Pour aller travailler, on se met en scène, on se fait beau, on se soigne. On est en quelque sorte dans un jeu de séduction, on introduit la notion de beauté, d’attirance." Mais avec le télétravail, il y a confusion entre l’apaisement né de certains avantages, comme la baisse du stress lié aux trajets, mais on ne se soigne plus nécessairement, on ne fait plus attention à la manière dont on s’habille, on se lave les dents à 6h du soir... "Et en ne se soignant plus, on ne soigne plus son couple, il y a un laisser-aller, et donc moins de séduction."
"La réaction humaine face à ce qui est vu comme un envahissement? S’éloigner, se protéger de l’autre, parce qu’on a perdu sa bulle à l’extérieur, qui permettait de se ressourcer."
JEAN VAN HEEMERIJCK
PSYCHOLOGUE
Sur d’autres plans aussi, le télétravail et le confinement ont pu avoir des impacts négatifs sur la vie au sein des couples. "Travailler à l’extérieur permettait aussi de se ressourcer, d’avoir des choses à se raconter au retour à la maison, poursuit le psychologue. Le fait d’être 24 sur 24 avec son conjoint fait que l’on n’a plus le plaisir de se retrouver, on ne va plus vers l’autre", constate-t-il. Il est là, tout le temps. "La réaction humaine face à ce qui est vu comme un envahissement? S’éloigner, se protéger de l’autre, parce qu’on a perdu sa bulle à l’extérieur, qui permettait de se ressourcer."
Des solutions existent
En plus d’être conseillère conjugale, Caroline Kruse est aussi auteur du "Savoir vivre amoureux" (Editions Le Rocher) qui sort le 6 janvier en librairie. Des couples en crise, elle en reçoit chaque jour dans son cabinet. Elle les aide à retisser les liens, là où c’est possible, et recoller les morceaux du couple abîmé, mais pas encore brisé.
Pour elle, tout n’est pas perdu. 2021 pourrait aussi être l’occasion d’apaiser les tensions et résouder les fêlures. Le télétravail tue l’amour? "Il faut aussi être un peu indulgent avec soi-même, et avec son couple", conseille Caroline Kruse. "On peut aussi ne pas se mettre la pression, et être simplement attentif à ce que dit ou exprime l’autre. Le 'tue l’amour', ce n’est pas le télétravail, c’est quand on ne communique plus. Cela ne sert à rien d‘imaginer que l’autre doit comprendre intuitivement ceci ou cela, il faut dialoguer. Et avec un peu de bienveillance, tout peut être dit, y compris les cheveux un peu gras qui dérangent, ou le pyjama à trois heures de l’après-midi…"
"Le tue l'amour, ce n'est pas le télétravail, c'est quand on ne communique plus."
CAROLINE KRUSE
CONSEILLÈRE CONJUGALE
Une autre manière de maintenir son couple à flot, c’est aussi de faire des projets, malgré la crise. "Construire la relation, c’est difficile actuellement. Les gens ont l’impression d’être sur un tapis de course, ils voudraient avancer, mais ils font du sur place. Et cela n’aide pas à se projeter", dit la conseillère. Que faire alors? "Il faut tirer parti de la contrainte. Elle peut être créative, mais il faut y mettre de l’énergie, il faut le vouloir. Au lieu d’avoir des projets à l’extérieur du couple, des projets de vacances, il faut en profiter pour reconstruire des projets à l’intérieur. Et pas besoin de choses pharaoniques. Prendre des microdécisions, faire des microprojets, réinventer quelque chose, cela suffit. Des couples s’en sont sortis en se recentrant sur leurs enfants, en inventant des activités communes, en redécouvrant les jeux de société, en regardant une pièce de théâtre sur internet…"
Redécouvrir l’autre
Des petites choses qui peuvent aussi permettre de découvrir son partenaire sous un jour qu’on ne lui connaissait pas. "Des couples ont aussi réussi à retrouver un équilibre, en faisant des compromis, des efforts. Faire des efforts, ce n’est pas un vilain mot, c’est aussi montrer à l’autre qu’on l’aime…"
Alors que 2021 s'amorce, le moment est peut-être venu, pour les couples aussi, de laisser les différents des confinements successifs pour repartir sur de nouvelles bases. "On peut se fixer des bonnes résolutions, et le faire avec humour. Mais il ne sert à rien de se fixer des objectifs qu’on ne pourra pas atteindre, conseille Caroline Kruse. Et surtout, il faut se promettre qu’on ne s’en voudra pas si on n'arrive pas à les tenir. Faute de quoi, on risque de mettre en route la pire ennemie du couple: la fabrique de la déception. Il ne faut pas faire de ces bonnes résolutions une contrainte, mais une porte ouverte vers l’avenir."
"Il faut bousculer la routine avec des imprévus. La routine est rassurante, mais risque de laisser le couple s’endormir, et mourir."
CAROLINE KRUSE
CONSEILLÈRE CONJUGALE
La crise n’est en effet pas finie, et les couples devront encore faire preuve de souplesse pour s’adapter à ce qui va arriver. C’est-à-dire être plus attentifs sans doute à l’autre et à ce qu'il ressent. Et ne pas avoir peut de casser la routine. Un conseil bateau, mais qu’il ne faut pas perdre de vue sous prétexte des limites liées au confinement. "Il faut bousculer la routine avec des imprévus. La routine est rassurante, mais risque de laisser le couple s’endormir, et mourir."
Et quand le déconfinement surviendra, que se passera-t-il? "Le retour à la réalité, la reprise du travail seront aussi des écueils à surmonter", dit Caroline Kruse. Le danger risque aussi de guetter les couples plus fusionnels, pour lesquels le confinement, en apparence, s'est bien passé. Ces couples-là vont sortir de leur bulle. Et alors surviendra le danger... "Cette sortie, juge la psychologue, est indispensable, même si elle est risquée. Mais il faut faire attention au syndrome de la cabane, dit-elle. Une relation à deux, si elle ne se nourrit que d'elle même, peut devenir étouffante ou stérile."
On vous parle ici de personnes plus possessives ou dépendantes, que l'enfermement de l'autre a pu rassurer durant le confinement. Mais une fois que le conjoint retrouvera sa liberté, les inquiétudes et la jalousie pourraient ressurgir, en puissance mille...
Marianne GARCIA - Résolution Thérapie-
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